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Sans jouer la carte joker d'iOS, est-il possible d'utiliser sereinement un smartphone sans Google ? C'est ce que nous allons essayer de voir avec notre expérience estivale.
Hors d'Android (Google) ou d'iOS (Apple) point de salut pour nos smartphones ? S'il existe pléthore de ROM plus ou moins exotiques (fondées, pour la plupart, sur Android), rares sont celles qui ont réussi à séduire un grand nombre d'utilisateurs. Installation capricieuse et nécessitant des compétences en informatique, absence de support technique, pérennité non garantie... Les écueils à l'utilisation d'un système alternatif s'avèrent nombreux et souvent rédhibitoires pour le grand public. Pourtant, une solution, plus simple et plus élégante, semble se dessiner pour ceux qui souhaitent "autre chose" pour leur smartphone et s'émanciper des services de Google, souvent trop curieux : /e/.
Une histoire de liberté
L'histoire de /e/ est liée à celle d'un Français : Gaël Duval. Pour les lecteurs qui ont passé des soirées à graver des CD d'installation de distributions Linux sur leurs PC, ce nom doit évoquer quelques bons souvenirs, et notamment celui de Mandrake Linux. À l'époque déjà, Gaël Duval rêvait de liberté et de se passer de Windows ou de macOS. Mandrake Linux devient rapidement l'une des distributions Linux les plus populaires, non seulement en France, mais aussi dans le monde du fait de son installation relativement aisée et KDE par défaut.
Bien sûr, il aurait été plus simple de recourir à un smartphone Huawei déjà dépourvu des services Google pour profiter d'un Android "dégooglisé", mais l'idée de confier ses données personnelles à un mastodonte chinois n'est guère plus réjouissante que celle de laisser Google aspirer sa vie numérique. Le choix d'un OS alternatif, toujours fondé sur Android, s'est d'abord fait sur la transparence. En effet, et contrairement à iOS, à Android ou au récent HarmonyOS de Huawei, le fonctionnement de /e/ à partir de briques logicielles open source est totalement auditable. Bien sûr, sans connaissances solides en informatique, un audit d'un système d'exploitation n'est pas chose aisée, mais cette possibilité reste un gage de confiance important.
Semaine 0 : trouver un candidat
La première étape de notre été sans Google (du moins dans le système d'exploitation, nous y reviendrons...) consiste à dénicher l'appareil "cobaye". Il est tout à fait possible de commander un téléphone préinstallé sur la boutique du site de la fondation /e/. Outre quelques modèles Fairphone ou Gigaset, on peut y dégoter un Samsung Galaxy S9 reconditionné, facturé un peu plus de 350 €. Toutefois, nous décidons d'opter pour une installation manuelle (et beaucoup plus complexe) du système sur un smartphone d'occasion plus abordable. L'OS étant compatible avec 152 modèles de mobiles de différentes marques, on a l'embarras du choix. Nous jetons notre dévolu sur un Xiaomi Redmi Note 8T, déniché aux alentours de 150 € en seconde main. L'écran s'avère correct, tout comme le module photo... mais sous l'OS maison. Reste à voir comment ces caractéristiques seront exploitées par /e/.
Semaine 1 : l'installation du système /e/
En fouillant sur le site pour récupérer la notice d'installation de /e/ sur notre Note 8T, il devient clair que nous n'avons pas choisi la simplicité. Un installateur graphique est bel et bien disponible, mais il ne fonctionne qu'avec les Samsung Galaxy S7, S8 et S9. Qu'importe, il en faudra plus pour nous décourager, et ce n'est pas le tutoriel en anglais qui freinera nos ardeurs. Si les manipulations ne sont pas insurmontables, disons-le sans ambages, l'installation de /e/ sur un smartphone n'est pas à la portée du premier venu ; il convient de disposer de bonnes notions d'informatique, de comprendre ce qu'est ADB ou fastboot, d'installer plusieurs logiciels sur un ordinateur, d'effectuer nombre de redémarrages, et ce en croisant les doigts pour qu'apparaisse le logo, preuve que le téléphone n'est pas complètement bloqué.
Télécharger et mise en condition
La première étape consiste à installer ADB et fastboot sur votre ordinateur. Pour vous y aider, sachez que de nombreux tutoriels existent, que vous soyez sur Windows, macOS ou Linux. Il faut ensuite basculer le smartphone en mode USB ; pour cela, vous devez passer en mode développeur et autoriser le mode OEM. Rien de bien compliqué, puisqu'il suffit de se rendre sur le panneau Paramètres, À propos du téléphone et d'appuyer sept fois sur Numéro de build pour passer en mode développeur. Pour activer Debogage USB et le déverrouillage OEM, rendez-vous dans Paramètres supplémentaires, Options Développeur. Les entrailles du système d'exploitation vous sont alors accessibles.
Pour la suite, il est préférable d'utiliser le système d'exploitation Windows, les outils recommandés étant le plus souvent disponibles pour le logiciel de Microsoft. L'étape suivante consiste à déverrouiller le bootloader de votre téléphone grâce à l'application Mi Unlock. Vous devez au préalable enregistrer un compte Mi sur le smartphone et donc avoir une carte SIM installée. Surprise, cette opération nécessite une période de validation de... sept jours ! Il faut en outre créer un compte Mi afin de pouvoir connecter le mobile à l'application Xiaomi qui autorisera le déblocage.
Une fois le bootloader "ouvert", vous pouvez installer le système /e/ et "jouer" avec fastboot. Connectez le téléphone à votre ordinateur à l'aide d'un câble USB, puis démarrez en appuyant simultanément sur les boutons Volume bas et Mise sous tension. Sur Windows, ouvrez une console en saisissant CMD dans la barre de recherche de Windows 10, puis entrez Fastboot Devices pour vérifier que votre ordinateur reconnaît bien le smartphone. Il "ne vous reste" plus qu'à envoyer les données (recovery et image du système /e/) sur le mobile, en espérant que tout se passe bien.
Après quelques minutes interminables — notamment le premier allumage long et angoissant —, le Redmi Note 8T affiche un écran d'accueil plutôt réussi.
Retrouver ses marques et ses applications
Les premiers pas sous /e/ sont assez classiques : configuration de la langue et du réseau Wi-Fi, définition des données biométriques, mais aussi liaison du smartphone avec un compte. Sous Android, la création d'un compte Google est obligatoire et vous donne accès à de nombreux services et applications comme Gmail (contact, calendrier...), Maps, YouTube, GDrive. C'est très efficace et donc très séduisant.
Le système /e/ vous laisse créer des comptes avec plusieurs prestataires et même avec Google. Il propose également une suite de logiciels associés au compte /e/ s'articulant autour de NextCloud avec, là aussi, un e-mail, une suite bureautique, un espace de stockage (1 Go offert), le tout avec une synchronisation permanente.
Cerise sur le gâteau, les développeurs de /e/ travaillent également sur la possibilité d'héberger soi-même son serveur /e/, et donc de gérer seul ses données personnelles.
/e/ OS nettoyé et simple d'utilisation
Les développeurs de /e/ ont nettoyé le code source de la plupart des interactions avec les serveurs Google, ce qui fait de /e/ OS l'un des rares systèmes véritablement "dégooglisé" (la liste des parties enlevées est d'ailleurs disponible). En effet, la plupart des autres OS alternatifs reprennent le code source sans retirer des bouts de code trop curieux. Ainsi, votre smartphone sous /e/ OS ne cherchera pas à se connecter à un serveur Google dès sa mise sous tension pour envoyer quelques précieuses informations : adresse IP, géolocalisation... /e/ n'utilise pas le système de géolocalisation de Google, ni même ses serveurs DNS qui sont habituellement définis par défaut. Ici, c'est le serveur 9.9.9.9 qui est implémenté.
Le Redmi Note 8T accepte l'installation d'Android 10, de quoi profiter d'une interface certes épurée, mais agréable à utiliser. L'ensemble est assez fluide, hormis quelques lenteurs lors de l'ouverture des dossiers d'applications, et le travail effectué plutôt impressionnant. Un bémol toutefois, l'absence de navigation par gestes. Ici, les boutons Home et retour en arrière sont encore affichés en bas de l'écran. Une interface qui date un peu donc, qu'il conviendra de faire évoluer rapidement pour rester au goût du jour et des utilisateurs.
Un magasin d'applications riche et prévenant
Si /e/ OS se passe de Google, les utilisateurs un peu moins. Pour que ces derniers adoptent ce système, ils doivent être en mesure d'installer les applications auxquelles ils recourent régulièrement et ne souhaitent pas renoncer, telles que Facebook, TikTok, Spotify ou Netflix. /e/ OS dispose d'un magasin assez bien achalandé.
Dans un premier temps, nous avons pu télécharger les principales applis, mais nous reviendrons naturellement sur ce point au cours de notre expérience avec, notamment, les apps bancaires ou de photo. Sachez qu'il est également possible d'installer le magasin d'applications Aurora et de bénéficier ainsi d'un nombre encore plus important de logiciels.
Certes, le magasin de /e/ OS se révèle un peu austère par rapport au Google Play Store, mais il propose surtout une analyse de confidentialité des applications téléchargées. Les notes calculées, à l'aide des analyses d'Exodus Privacy, permettent d'informer les utilisateurs du nombre de traceurs et autres pisteurs que contiennent ces programmes, ainsi que l'ensemble des permissions demandées. Et cela fait parfois froid dans le dos. Sans vouloir limiter les utilisateurs, /e/ souhaite avant tout les sensibiliser à la protection de leurs données personnelles. Toutefois, et si vous y tenez vraiment, rien ne vous empêche d'installer Gmail ou Maps, même si cela peut sembler contre-productif.
Malgré une installation quelque peu délicate et nécessitant de solides connaissances en informatique, /e/ OS s'avère, dans un premier temps, plutôt simple et peu pénalisant à utiliser. Rendez-vous prochainement pour l'épisode #2 de notre expérience avec un plongeon dans le monde réel et l'utilisation plus intensive du smartphone, avec notamment le GPS, les applications bancaires et l'appareil photo.
Expérience – Un été sans Google (ou presque...) #1 - Les Numériques
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