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Les Numériques a rencontré Stéphane Thirouin, le créateur de Williwaw. Ce ventilateur à 850 € — deux fois plus cher qu'un Dyson — a une histoire un peu folle, et son ambassadeur n'y est pas pour rien. Récit.
Il n’est pas rare de croiser des Géo Trouvetou dans l’univers de la tech et Stéphane Thirouin en fait définitivement partie. Depuis plusieurs années, ce fils d’agriculteur devenu designer industriel travaille d'arrache-pied sur Williwaw, un ventilateur silencieux qui a fait parler de lui récemment notamment en raison de son prix : 850 €. Le cheveu gris mi-long, en baskets et chemise blanches avec un jean orange pour rappeler le code couleur de Williwaw bien sûr, Stéphane Thirouin débarque de Grenoble, le pas alerte et la démarche volontaire, aux Numériques avec son produit (à construire) sous le bras et un ventilateur Dyson (déjà monté lui) pour la démo.
Tout en nous démontrant que la séance de montage de Williwaw est une partie de plaisir, même avec une simple pièce de monnaie comme outil, celui qui a fait ses armes chez Legrand, Facom puis Seb, aime parler de lui, de son métier et de son ventilateur. Et des nombreuses embûches qui se sont plantées sur sa route.
Je veux créer un produit utile, durable et désirable
L’aventure Williwaw (tiré d'un terme amérindien qui désigne un vent froid) démarre après une divergence d’opinions avec son avant-dernier employeur, le groupe Seb. Pendant 10 ans, il a été payé pour faire de beaux objets en dessinant des boutons et des prises électriques, puis des outils pour Facom et enfin, des appareils électroménagers pour Seb. Mais malgré son MBA en poche, on ne lui reconnaît pas d’autre utilité que celle de faire du beau et, qui plus est, à moindres frais. Or, pour lui, être designer, c’est aussi être un architecte des objets… et un peu plus. “Ce n’est pas que dessiner un objet. Il faut être chef d’orchestre. Mais en France, il n’y a que les PDG qui ont droit d’être chef d’orchestre.” Alors il garde sa sensibilité pour lui, et avale sans broncher les logiques marketing — souvent ubuesques — de ses différents employeurs.
Y croire envers et contre tout
Puis d’un commun accord, il quitte en 2016 le fabricant d’électroménager Seb, en emportant avec lui les droits d’un projet nommé Bamboo Fan, “un ventilateur que nous avions commencé à développer pour concurrencer Dyson en insistant sur l'aspect silencieux et désirable, décoratif, de l'engin. Il ne rentrait pas dans le cahier de charge de la société”. Ce projet est selon lui flingué par des considérations marketing. Néanmoins, il parvient à récupérer le moule de l’hélice — un outil industriel qui coûte tout de même la bagatelle de 10 000 $ — et lance un Kickstarter à hauteur d'un million d'euros pour financer la fabrication du ventilateur : la souscription est de 350 € par modèle pour une production de 3000 pièces. Il récupère 99 précommandes et 47 000 €. “C’est le bide total.”
Mais il y croit dur comme fer à son ventilateur. “Je veux créer un produit utile, durable et désirable.” Et pour cela, il ne lésine pas sur les matériaux. Première exigence, pas de plastique ABS qui vieillit mal, mais du polycarbonate de qualité. Le cahier des charges — et de facto la facture — s'alourdit : aucun clip en plastique indémontable, mais 115 vis, des pieds en bois, une hélice à neuf pales (il y en a trois sur un ventilateur d'entrée de gamme) et un moteur brushless qui permet de tourner à très basse vitesse. Pour la grille, “Williwaw utilise une spirale (tordue à la main) pour minimiser les turbulences et créer un flux d'air régulier. Ce qui n'arrange rien, il en faut deux différentes ; une à l'avant, une à l'arrière.” L’aérodynamique des pièces reprend les codes de l’aéronautique. “C'est le cas par exemple des haubans qui soutiennent le moteur. Le but est de limiter la création de turbulences audibles.” L’oscillation de 40 à 270° du ventilateur nécessite une pièce qui a été une véritable “usine à gaz”. Mais surtout, il dispose sinon de capteurs de température pour le rendre intelligent. “C’est le seul ventilateur qui s’allume s’il fait chaud et s’éteint quand il fait froid.”
Son atout : permet de réchauffer une pièce en hiver
Alors forcément, la facture du Williwaw grimpe. Il faut batailler partout, s’appuyer sur les copains, joindre les deux bouts. Un concours Lépine par-ci, un concours de design par-là… Stéphane Thirouin affirme n’avoir obtenu aucun soutien, même pas de Bpifrance (banque publique d'investissement). Il bataille ferme pour son engin. Il finit par le produire grâce à un copain qui dirige une usine à Shenzhen. Tout est fabriqué en Chine car Williwaw coûterait encore plus cher s'il était fabriqué en France ; rappelons que Williwaw embarque plus de 100 vis. Mais Stéphane Thirouin veut proposer un objet durable qui peut remplacer un système de climatisation classique.“Le gain en matière d'énergie est colossal. Une climatisation dans une pièce de taille moyenne, c'est 9000 € sur 10 ans ; achat de l'appareil, installation, maintenance et consommation électrique, on gaspille des milliers de watts.”
Mais là où Williwaw veut faire la différence, c’est durant l’hiver, puisqu’il promet également de réchauffer une pièce. “C'est une simple histoire d'observation. J'ai une mezzanine chez moi l'hiver et j'ai constaté que l'hiver, il fait chaud en haut et froid en bas. Je me suis dit, si je fais tourner mon ventilateur, je vais pouvoir pousser l'air chaud vers le plafond et créer un phénomène de convection. Mon intuition s'avère la bonne. J'avais 29 °C en haut, 19 °C en bas ; en lançant mon idée, la température s'est homogénéisée en haut et en bas de la mezzanine pour atteindre 21 °C partout. On parle de déstratification de la chaleur.” Le designer a fait une étude pour mesurer les gains d’énergie. Cela représente 30 % d’économie de chauffage par pièce. Tout cela est géré depuis une application.
Stéphane Thirouin espère convaincre ses clients avec ces arguments. Pour le moment, il a vendu 1200 exemplaires de son Williwaw, 70 % sont vendus par son site, 30 % par Fnac Darty. “Il faut aimer les beaux objets, avoir des moyens, ne pas aimer la clim”, déclare-t-il pour la défense de son produit haut de gamme qui n’a rien à voir avec le ventilateur sans pales de Dyson et sur lequel il ne mâche pas ses mots (voir encadré).
Alors notre Géo Trouvetou développe une version limitée de Williwaw avec des pièces en laiton pour qu'il puisse fonctionner sur les plages de l’hôtel Carlton, à Cannes, et ainsi éviter que le rimmel ne coule sur le visage des riches clients qui auraient trop chaud au soleil. Et il se fait, tel un VRP, l'ardent défenseur de sa solution. Il n’a pas de salariés mais des projets. “Je ne veux pas être le roi du ventilateur mais le roi des objets utiles.” Il crée sa marque et veut l’installer dans un paysage où l'électroménager représente bien souvent des produits prêts à consommer que l’on finit par balancer. Cet éternel insatisfait ne veut plus “s’emmerder avec les produits bas de gamme”. “Mon rêve est que mon produit ne finisse pas à la déchetterie. Il n’y a pas de Porsche à la casse.”
La folle histoire de Williwaw, le ventilateur “français” le plus cher du monde - Les Numériques
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